Rémunération : innover en matière de reconnaissance des personnes

La rémunération est, de toutes les thématiques RH, sans doute une des plus sensibles et complexes.

Sensible, car elle touche à la notion de valeur dans tous les sens du terme : valorisation monétaire avant tout, mais également la représentation que chacun peut avoir de lui au travers du « prix » de son travail et enfin, l’alignement de la politique de rémunération avec les valeurs de l’entreprise.

Complexe, car la question de savoir « quoi » et « comment » rémunérer est non seulement technique mais également politique (au sens des politiques internes de l’entreprise qui reflètent des choix délibérés et s’inscrivent dans un contexte légal, lui-même dépendant de politiques nationales, de branche…)

Les entreprises qui innovent dans leur management et leur gouvernance, sont rapidement confrontées à cette question : comment construire un système de rémunération aligné sur les principes de transparence, autonomie, responsabilité, reconnaissance… prônés par ces nouvelles formes d’organisation ?

Dans cet article, nous nous intéresserons à la rémunération directe, c’est-à-dire les salaires, primes, commissions… mais d’autres leviers de rémunération indirecte peuvent être actionnés dans une approche globale de l’évaluation et de la reconnaissance des collaborateurs.

 

Des pré-requis indispensables

Lorsqu’on cherche à innover en matière de rémunération, il faut avoir à l’esprit que cela amènera nécessairement à une plus grande transparence de l’information, à laquelle les salariés eux-mêmes ne sont pas forcément prêts. Il est important de valider à quel point l’ensemble des parties prenantes est prêt à partager les informations (la direction concernant les chiffres de l’entreprise, les salariés concernant leurs salaires, primes…). Christian Bardot, dans son ouvrage « Ensemble Libérés » témoigne du choix des salariés de Thalès Aviation de ne pas inclure les augmentations dans le périmètre des décisions prises en commun au sein des équipes, car cela aurait nécessité une communication transparente des salaires et risquait de générer des tensions.

Il est important pour le dirigeant d’être au clair sur ses limites. Tout le monde n’est pas, comme Alexandre Gérard lorsqu’il était patron de Chronoflex, prêt à confier entièrement la décision des augmentations à ses collaborateurs en s’engageant à la respecter sans interférer. Et pour les managers, il s’agit de bien connaître ses marges de manœuvre. Elles se situeront rarement au niveau de la rémunération directe.

 

Une question de philosophie

Avant tout, il s’agit d’abord de repenser la façon d’évaluer et de reconnaitre les contributions individuelles et collectives, en alignement avec les valeurs et les principes de fonctionnement de votre organisation. Le système de rémunération en découlera.

Par exemple, dans un fonctionnement en gouvernance partagée, où les membres de l’équipe sont affectés à des rôles qui peuvent évoluer et n’ont pas nécessairement de rapport avec les fiches de poste officielles de l’organisation, comment évaluer la contribution de chacune des personnes ? En fonction du nombre ou de la nature de ses rôles ? en fonction de sa capacité à délivrer les attendus de ses rôles ? mais alors comment reconnaître l’interdépendance des membres de l’équipe et valoriser la solidarité qui permet aux individus de performer ? Ces questions renvoient à l’ADN de votre organisation et vous amèneront à aller découvrir la partie de l’iceberg qui se trouve sous la ligne de flottaison. C’est parce que vous serez capables d’exposer clairement votre philosophie en matière d’évaluation et de reconnaissance que vous donnerez du sens à votre système de rémunération et favoriserez son appropriation. 

 

Pas de modèle « prêt à appliquer »

Mauvaise nouvelle, il n’existe pas de modèle universel qui marcherait pour toutes les structures. Chacune invente sa propre façon de faire, en fonction de sa culture, de ses marges de manœuvre, du degré de maturité de son organisation…

Cependant, il existe des questions que vont se poser toutes les structures qui réfléchissent à leur système de rémunération :

1. Quels critères pour fixer le niveau de rémunération ?

Ces critères doivent offrir un juste équilibre entre le besoin de reconnaissance singulière des individus, la nécessité de performance et le maintien de la dynamique collective. Vous pourrez par exemple choisir de valoriser individuellement les années d’ancienneté et les compétences, et collectivement les résultats obtenus

2. Egalité ou équité ?

Tous les collaborateurs ne partent pas d’un même point de départ (expériences passées, niveau de diplôme…), un système qui gommerait ces différences, ou les différences d’investissement, pourrait être perçu comme injuste et engendrer des effets à l’inverse de ceux espérés. De même que le principe d’augmentations générales produit majoritairement de l’amertume.

3. Primes ou pas ? individuelles ou collectives ?

L’enjeu est de parvenir à un système encourageant l’initiative et l’investissement personnel sans créer une concurrence interpersonnelle nuisible au collectif. Les structures qui innovent dans leur management et leur gouvernance vont avoir tendance à utiliser le levier de l’augmentation de salaire pour reconnaitre la contribution individuelle et la prime collective pour renforcer la dynamique d’équipe.

4. Quel processus de décision des augmentations ?

Qui décide et comment décider ? Les structures qui ont mis en place une gouvernance partagée ont à leur disposition une palette de processus permettant plus de collégialité dans la prise de décision. Ces processus gagnent à être co-construits avec les collaborateurs pour faciliter leur appropriation et l’acceptation des décisions.

 

L’exemple de la société ICS

 ICS est une entreprise Grenobloise de génie climatique, constituée d’une vingtaine de salariés. Elle a amorcé sa transition vers un modèle de gouvernance partagée à l’été 2021 pour préparer la succession de son dirigeant. Parmi les premiers chantiers lancés en gouvernance partagée, celui de la rémunération a été choisi pour mettre le pied à l’étrier des membres de la toute nouvelle cellule RH, et a impliqué toute l’entreprise.

Tout d’abord, l’équipe projet a dégrossi le sujet en repartant de la grille de la convention collective et en définissant comment l’appliquer chez ICS. Puis ils ont positionné l’ensemble des salariés (hors alternants) sur la grille en fonction de leurs compétences métier et niveau de responsabilité. Enfin, ils ont organisé une séance collective pour présenter à tous les salariés le fruit de leur travail. Ce temps collectif a été construit pour permettre à chacun de comprendre le référentiel et de disposer d’un temps en petit groupe pour réagir par rapport à son positionnement et bénéficier du feed-back de ses pairs sur son travail. A l’issue de ce temps collectif, une seule personne s’est déclarée insatisfaite de son positionnement. Elle a été reçue par les membres de la cellule RH pour en discuter.

Depuis, les augmentations annuelles sont gérées par la cellule RH. Celle-ci décide d’un volume global d’augmentation et revoit le positionnement de chacun dans la grille en tenant compte des expériences et compétences acquises et de l’investissement. Cela conditionne ensuite les augmentations individuelles.

L’entreprise ICS a fait le choix de baser les augmentations sur des critères métiers liés à leur activité. Les rôles supplémentaires endossés par certains salariés dans le cadre de la gouvernance partagée ne donnent pas lieu à une valorisation particulière (mais les heures passées sur ces rôles sont rémunérées) car cela est considéré comme une opportunité de s’investir et de développer de nouvelles compétences.

 

Et chez Co’effy ?

Nous avons pris le parti du salaire unique pour tous les consultants-associés, au pro-rata du temps de de travail (temps plein => salaire à 100%, temps partiel 80% => salaire 80%)

Notre rémunération est indépendante :

– des rôles des personnes : nous n’avons pas tous les mêmes rôles et ne passons pas tous le même temps sur des activités commerciales, de prestation ou sur nos rôles internes (gestion, communication etc)

– du résultat de chacun : pas d’indicateurs (ex. : CA apporté ou réalisé par chacun) pas d’objectifs individuels donnant lieu à une évaluation

– du niveau hiérarchique : notre organisation est 100% horizontale

– du capital investi : fonctionnement en SCOP, renforcé par l’investissement identique de tous les associés

 

Notre rémunération porte pour nous des valeurs :

– équité : elle part du principe explicite que chacun d’entre nous est associé, co-dirigeant, donne le meilleur de lui-même/elle-même dans le projet de Co’effy. Nous avons donc le même salaire car nous accordons la même valeur à l’engagement de chacun

– solidarité : nous partageons la conviction que la performance de Co’effy passe par notre capacité à affecter les bons rôles aux bonnes personnes. Nous sommes collectivement engagés à permettre à chacun.e d’exprimer son plein potentiel !

– attention : la rémunération symbolise la valeur que co’effy apporte à chacun de nous, mais aussi l’attention que chacun de nous apporte à la pérennité de Co’effy : lorsque la situation économique le nécessite, nous sommes prêts à baisser notre salaire.

 

La reconnaissance financière n’est pas la seule reconnaissance chez Co’effy :

– nous nous donnons des signes de reconnaissance et du feedback :  quand nous apprécions le travail/la prise de parole/ les qualités d’un collègue, nous nous le disons :

∙ Au fil de l’eau quand nous y pensons

∙ Lors des rituels de déclusion à la fin de nos réunions

∙ Lors de temps dédiés : par exemple, au cours de notre séminaire annuel, un temps « plénitude et croissance » où chacun a exprimé ses préférences/talents/difficultés au travail, et a reçu un tour de feedback de chacun de ses collègues.

– affectation des rôles par Election sans candidat : nous nous sentons reconnus, légitimes, « désirés » dans les rôles que nous énergisons

 

Ce choix de rémunération est possible car nous avons pris soin d’en partager le sens et la philosophie et parce que nous prenons le temps au fil de l’eau de traiter les éventuelles tensions qui peuvent en découler.

 

Conclusion

Il n’existe donc pas de modèle unique et universellement performant et satisfaisant. C’est à chaque organisation d’innover en capitalisant sur les modèles existants, et en incluant les opérationnels dans les réflexions d’évolution de la politique salariale, afin de co-construire avec eux une stratégie de rémunération qui permet adhésion et engagement tout en comprenant les enjeux de contenir raisonnablement l’évolution de la masse salariale.