La capitalisation est une démarche que beaucoup d’entreprises souhaitent consolider. En 2020, nous avons croisé une organisation qui a décidé de prendre ce sujet à bras le corps. Deux ans après, nous avons voulu en reparler pour savoir où ils en sont. La rédaction de cet article nous a permis de voir que non seulement, ils avaient continué à consolider leurs compétences sur ce sujet, mais que la capitalisation était devenue une pratique connue et reconnue au sein de Grenoble Alpe Métropole.

Pour en savoir plus, voici le témoignage de Frédéric Cook sur la mise en place de la capitalisation dans cette organisation

Pouvez-vous vous présenter ? 

Frédéric Cook, je suis chargé de mission stratégie et innovation publique (MSIP) à Grenoble Alpes Métropole depuis 2017. Dans mon service, nous sommes notamment chargés de conduire et d’accompagner un certain nombre de démarches transversales.

Je travaille plus particulièrement sur le mode projet interne, la démarche d’accompagnement managérial et l’accompagnement aux changements du projet de nouvel Hôtel Métropolitain. Comme l’ensemble de mes collègues, je viens en appui d’autres équipes sur la facilitation en intelligence collective et sur la résolution de problèmes. On intervient fréquemment en binôme, on partage réflexions et sollicitations ce qui permet de croiser en équipe l’ensemble des projets sur lesquels nous intervenons et de conforter ainsi notre regard transversal.

En quoi consiste la capitalisation ?

Pour moi, la capitalisation consiste à mettre à jour les compétences qu’une équipe ou qu’un individu a déployé à un moment donné, dans un contexte donné, dans un projet donné et qu’il serait utile de réemployer dans des circonstances analogues. Il s’agit ainsi de tirer les enseignements de l’expérience pour améliorer les réponses apportées.

On parle évidemment de compétences qui sortent du lot, qui peuvent être appropriées par d’autres et qui leur seraient bien utiles pour gagner du temps, pour être plus efficaces, plus efficients. Dans une logique d’amélioration continue comme sur des rétrospectives par exemple ou pour des projets similaires d’autres acteurs pourront alors utiliser la capitalisation. Il peut s’agir aussi de promouvoir ces modes de faire dans une logique de diffusion de ce qui aura été capitalisé.

 

Pourquoi et quand avez-vous décidé d’investir réellement sur la capitalisation ?

En 2018 mon DGA (directeur général adjoint) m’a demandé de capitaliser deux grands projets : l’élaboration du Plan Climat Air Energie Métropolitain (PCAEM) et la phase de lancement du projet urbain GrandAlpe, dans la perspective de leur continuation sur le prochain mandat et dans l’idée de tirer des enseignements pour de futurs projets de cette envergure.

 

Qu’avez-vous fait jusqu’à aujourd’hui ?

Nous nous sommes lancés sur les deux projets cités précédemment. Et puis, suite à une demande de capitalisation en continue du projet d’organisation d’une étape du Tour de France 2020, j’ai exprimé le besoin de me former vraiment sur cette question, et j’ai été amené à travailler pour cela avec Odile Joussellin de Co’effy. Par ailleurs, nous avons réalisé un temps de capitalisation de la période de confinement avec le CODIR, en juin 2020.

Et cela nous a amenés à réfléchir sur comment intégrer ces démarches de capitalisation dans notre offre, en tant qu’équipe MSIP et notamment comment cela venait compléter, enrichir les démarches d’évaluation. Car l’évaluation et les démarches de capitalisation sont très proches.

 

Quelles sont les perspectives en projet de capitalisation ?

Nous lançons actuellement deux nouveaux projets de capitalisation sur demande des services ce qui témoigne de la diffusion de la démarche. Pour l’un des deux, je vais lancer un premier atelier, animer 2 séances autour de l’approche expérientielle et je vais outiller les gens pour qu’ils puissent ensemble faire une rétrospective.

Nous avons déjà beaucoup communiqué sur la capitalisation pour expliquer ce que c’est, les bénéfices et les résultats obtenus. Nous avons aussi réalisé récemment un atelier « inter institutions » où j’ai fait une sensibilisation à la capitalisation pour mes collègues de la Métropole, mais aussi pour ceux de la ville de Grenoble, du CCAS de Grenoble et du Département de l’Isère.

D’autre part nous avons le projet de mettre en place lors des séminaires managers que nous faisons tous les 2-3 mois, une démarche de rétrospective de façon « récurrente ». Il y a deux motivations à cette intention : faire vivre un outil d’agilité qui fait partie de ce que nous souhaitons développer en matière de culture commune ; continuer de diffuser la pratique de la capitalisation en espérant que les équipes reprennent à minima cette pratique.

 

Qu’est ce qui a été le plus facile et le plus dur dans cette démarche ?

Le plus facile, pour moi, c’est de questionner les gens, en particulier quand l’équipe et l’animateur ont envie d’explorer la thématique en question. C’est un vrai plaisir pour tous.

En revanche, ce qui a été le plus difficile, c’est la prise de conscience du temps qu’il faut pour faire ça (pour l’équipe, pour l’animateur) et les choix à faire des sujets à creuser. Car on ne peut pas tout explorer, et donc, il faut faire un choix. Comment on le fait, qui le fait. C’est important de se poser ces questions-là.

Et ma grande découverte, c’est que ces démarches de capitalisation mettent en exergue ce qui se passe dans les équipes. S’il y a de la solidarité dans l’équipe, par le jeu de l’animation, du cadrage de sécurité que l’on met, la capitalisation va permettre à l’équipe de se dire des choses en toute transparence et dans une logique d’amélioration collective. Cela permet ainsi de renforcer les liens et d’optimiser cette capacité à se parler. C’est un cercle vertueux. Vraiment, c’est un des résultats intéressant de la capitalisation, cela renforce les équipes et la confiance qu’ils ont les uns envers les autres. Et ainsi, logiquement, s’il y a des tensions dans une équipe, si une partie de l’équipe n’est pas dans la bonne disposition, de la même façon, la capitalisation va mettre en lumière ces tensions ou ces manques.  Il est alors possible même si ce n’est pas souhaitable que la démarche de capitalisation doive se réaliser sans certaines parties prenantes.

 

Quelles sont les méthodes utilisées pour capitaliser concrètement ?

Les méthodes de rétrospective proposées par l’agilité sont intéressantes et ont l’avantage d’être facilement appropriables. Par exemple, le bon, la brute et le truand où on va regarder : 

  1. Ce qui a marché
  2. Ce qui a moins bien marché
  3. Ce qui est un peu flou pour les gens.

A partir de là, chacun s’exprime et on continue en leur demandant, ce qu’il faudrait changer, ou continuer, ou tester pour s’améliorer. Et de là, un plan d’action peut être décliné.

De mon côté, je rajoute à cette méthode une dernière question : qu’est-ce que vous avez appris, quels sont les enseignements que vous tirez de votre expérience ?  Cette question est toute bête, mais cela peut rajouter des choses très intéressantes.

 Beaucoup pratiquent dans l’économie du développement la méthode des « points d’inflexion » avec une entrée souvent chronologique permettant de mettre en valeur les points clés d’un projet (moments de freins ou opportunités) et comment l’équipe les a traités pour continuer d’avancer.

 J’ai aussi appliqué depuis ma formation l’approche expérientielle qui consiste à revisiter les postulats méthodologiques d’un projet à partir de la parole d’un acteur clé et la méthode TRCC visant à repérer les « il faut faire.. » et les « il faut éviter.. » ainsi que les ressources en cas d’aléas.

 

Quelles sont les conditions de réussite ?

Pour les conditions de réussite, il faut :

  • Vérifier que l’équipe soit prête à changer ses habitudes et à travailler ensemble en confiance pour capitaliser.
  • Avoir le temps et la volonté pour le faire
  • Une volonté de faire qui soit portée, soutenue par la direction générale car ces démarches prennent du temps.
  • Vérifier que l’organisation qui se lance dans la capitalisation est déjà structurée avec des ressources et un appui transversal qui pousse/accompagne des démarches innovantes. C’est dans ce cadre-là, qu’on peut avoir un référent capitalisation qui a déjà une posture d’accompagnement auprès de l’ensemble de l’organisation.
  • Un soutien externe, sous forme de formation et d’accompagnement, avec de vraies compétences en capitalisation qui vont permettre que cette expertise de capitalisation se construise et se développe en interne
  • Une présence importante : pour exemple la capitalisation du projet TZCLD, sur laquelle pourtant des renoncements ont été faits, représentent environ 20 à 30 heures de travail pour 4 ateliers (2 à 3 heures) animés en direct et 3 ateliers rétrospective confiés aux acteurs.
  • Une communication qui soit faite à la fois sur la capitalisation mais aussi sur les livrables pour en favoriser leurs diffusions. Il faut soigner le point de départ et le point de sortie.
  • Et enfin, et c’est essentiel, il faut que la capitalisation soit utile aux gens qui la construisent. C’est toujours cet élément qui m’a toujours animé et encore une fois, cela s’avère central.

     

    Quels conseils souhaitez-vous donner à toute autre organisation pour mettre en place la capitalisation chez eux ?

    Mes conseils sont :

    • Identifier et réaliser la première capitalisation sur un exemple qui parle à tout le monde (projet phare)
    • Faire ce projet phare avec une équipe qui en a envie
    • Ne pas mésestimer la compétence que cela demande
    • Dès le départ au niveau de l’organisation, il faut clarifier le lien entre la capitalisation et l’évaluation.