« Libérée, délivrée », cette enivrante ritournelle s’applique aussi dans le domaine de l’entreprise. Mais comment passer de l’étape du projet à la mise en place d’un mode de gouvernance de type « entreprise libérée » ?
La notion d’« entreprise libérée » est apparue dans les années 1990s, autour de la recherche de modalités qui permettent aux salariés de développer leur motivation et leur sens des responsabilités.
L’auto-direction et la prise d’initiative individuelle sont encouragées, allant de pair avec des modes de fonctionnement de type participatif, conduisant même parfois jusqu’à la remise en cause de l’organisation hiérarchique classique.
Pour mieux appréhender les atouts et les modalités d‘évolution vers ce type d’organisation, voici 4 questions à Christophe HERAULT, Coach de dirigeant, consultant et formateur en développement managérial et organisationnel chez Co ‘Effy à Grenoble (38000).
1) Que signifie « entreprise libérée » et comment se caractérise un tel mode de gouvernance ?
Christophe HERAULT : « D’abord, je dirais que l’« entreprise libérée » est un peu paradoxale car elle ne répond à aucun modèle prédéfini.
C’est à chaque entreprise qui s’y intéresse d’en trouver sa propre définition, selon sa culture, son identité, et la vision de ceux qui la composent.
Je pense notamment à la vision de son dirigeant, qui joue un rôle déterminant, ainsi que le type d’environnement client / fournisseur dans lequel l’entreprise est insérée.
Les entreprises dites « libérées » ont toutefois des points communs. Dans le prolongement des travaux de Tom Peters aux Etats-Unis, cette approche a été théorisée par Isaac Getz ou encore Frédéric Laloux.
Au cœur de ce mode de gouvernance, on retrouve l’idée de favoriser l’initiative et de créer un environnement où les personnes peuvent développer leur « auto-motivation ».
L’un des principes est de libérer l’entreprise de ce qui entrave cette auto-motivation. Il s’agit par exemple de supprimer bon nombre de procédures de contrôles en érigeant la confiance comme donnée a priori.
Tout ceci part d’un constat simple : les gens changent de comportement quand on leur fait confiance.
« Tout ceci part d’un constat simple : les gens changent de comportement quand on leur fait confiance. »
Je peux citer par exemple l’entreprise Haute-Savoie Habitat qui a ainsi supprimé tous les contrôles concernant les horaires et les vacances et qui se félicite tous les jours de ce que cela a changé dans les relations de travail.
Tout fonctionne sur le principe de la confiance et quand il y a un problème, alors il y a discussion et dans les faits, les personnes se réajustent d’elles-mêmes. »
Vous réfléchissez à faire évoluer votre entreprise ?
2) D’après votre expérience, quels sont les avantages communément constatés concernant les » entreprise libérées » ?
Christophe HERAULT : « Le premier avantage de cette approche est l’engagement fort des salariés qui en découle. Se sentant responsabilisés et impliqués dans leur travail, ils déploient généralement leur talent et leur énergie au maximum.
Deuxièmement, du fait de l’allègement voire la quasi suppression des procédures de contrôle, on constate souvent dans ces entreprises davantage d’agilité, une structure allégée et de nombreux gains de temps. Ceci rend l’entreprise plus forte et compétitive.
Ceci va de pair avec plus de prises d’initiatives et d’innovations. Les nouvelles idées ne viennent plus seulement de la Direction Générale, elles émergent de toute l’organisation.
Isaac Getz a notamment étudié l’entreprise picarde FAVI, équipementier automobile, qui a placé la confiance au centre de son fonctionnement en laissant à ses opérateurs une très grande autonomie : réglage, choix et achat des machines, etc.
Et la performance est au rendez-vous : l’équipementier détient aujourd’hui 70% des parts de marché concernant la production mondiale en fourchettes de boîtes de vitesses et rotors des moteurs électriques. »
3) À contrepied de ces avantages, quels peuvent être, selon vous, les points de vigilance inhérents à ce mode d’organisation d’« entreprise libérée » ?
Christophe HERAULT : « Pour moi, le premier point de vigilance est d’éviter les dogmes en affirmant par exemple : « l’entreprise libérée, c’est ça, ça doit fonctionner comme ça, etc. »
Les solutions doivent être propres à chaque entreprise. C’est pour cela que nous aidons nos clients à construire leurs solutions en accompagnant leur réflexion et en intégrant des approches et outils de différentes sources – jamais un modèle tout fait à copier/coller.
Deuxièmement, on enlève certes les contrôles inutiles, mais il doit y avoir encore des règles. L’idée est de remplacer une autorité arbitraire de la hiérarchie par des règles coconstruites, donc admises par tous.
Ceci implique de s’appuyer sur des modalités de prise de décision efficaces et structurées.
Nous pouvons même aller jusqu’à mettre en place un « management constitutionnel », qui distribue le pouvoir à travers toute l’organisation via des règles et processus s’appliquant à tous, même aux dirigeants. Nous puisons pour cela dans les référentiels de l’Holacratie et la Gouvernance Cellulaire. »
4) Quels sont les facteurs clés de succès pour évoluer vers une organisation de type « entreprise libérée » ?
Christophe HERAULT : « Pour emmener une entreprise vers ce type de gouvernance, il est essentiel que la question du sens soit partagée et comprise par tous au sein de l’organisation.
Au départ, le dirigeant doit vraiment être porteur de cette vision et avoir un réel point d’appui pour communiquer sa volonté de changement. Puis, nous mettons en œuvre des processus d’intelligence collective pour que chacun s’approprie la vision et devienne cocréateur de la dynamique de changement.
Et surtout, l’idée la plus importante à retenir, c’est que c’est un chemin, avec des ajustements continus, des essais, des erreurs, des apprentissages. L’action s’inscrit dans le temps avec des petits pas et de la persévérance.
Lorsque nous accompagnons les entreprises, nous les aidons à choisir le prochain petit changement utile et à le mettre en œuvre. Ainsi, avec Co’effy, le chemin est facilité et accessible à tous.
C’est la somme de ces petits changements qui rend la transformation possible. Et l’entreprise peut s’arrêter à tout instant lorsqu’elle estime avoir atteint un optimum.
D’ailleurs, il n’est pas nécessaire de vouloir être une entreprise libérée pour améliorer le faire ensemble. Toutes les entreprises que nous accompagnons progressent vers plus de coopération, d’efficacité, de responsabilisation et d’engagement des équipes.
Et elles en découvrent des bénéfices inestimables pour la performance business et pour la qualité de l’aventure humaine. »
Interview réalisée le 25 mars 2021.